Lagny-sur-Marne ► Le médecin imaginaire : il faisait des piqûres aux enfants

C’est un cas vraiment particulier voire unique en son genre que le tribunal de Meaux a dû juger, lundi 27 mars. Sous mandat de dépôt depuis  le 12 octobre 2016 et maintenu en détention provisoire, Pierre*, 32 ans, a comparu sous trois chefs d’inculpation : « violences sur mineur de moins de 15 ans sans incapacité, exercice illégal de la profession de médecin et exercice d’activité professionnelle malgré interdiction judiciaire ». Le prévenu a fait appel de la décision et a été relaxé de tous les faits, en juin 2017. 

Entre janvier et février 2015, Pierre travaillait ponctuellement pour le compte de « Family Sphère », une  association spécialisée dans la garde d’enfants et le soutien scolaire. C’est ainsi qu’il se rendait à Lagny-sur-Marne, dans deux familles, pour aider Lucas* et Enzo* à faire leurs devoirs. Il gagnait rapidement la confiance des ados par sa gentillesse et son implication. Attentif lorsque les enfants manifestaient des signes de fatigue ou d’inattention, il les rassurait et il leur disait qu’il serait bon qu’il procède à un examen sanguin pour écarter tout risque de maladie. Enzo, particulièrement, était un enfant en difficulté, fragile. Introverti, il se scarifiait les bras et ressentait un évident mal être. Pierre s’était saisi du prétexte pour convaincre l’enfant qu’il avait besoin d’une piqûre pour déceler s’il n’était pas atteint d’une maladie du type diabète. Enzo, confiant, s’était laissé faire, Pierre ayant pour habitude de se présenter aux familles tantôt  comme naturopathe, médecin, ou infirmier.

Le statut ainsi annoncé donnait confiance et lui conférait  « la légitimité » pour  pratiquer « les actes intrusifs ». Ce n’est que plus tard que les parents de Thomas ont découvert la sinistre vérité en apprenant que l’homme s’était livré à deux reprises aux actes délictueux sur leur enfant, mais aussi sur une vingtaine d’autres, en France et en Suisse.

…Car Pierre n’en était pas à son coup d’essai. Depuis 2010, il profitait de ses périodes d’inactivité (préparateur de commandes en intérim) pour se faire embaucher dans des centres de vacances ou des écoles pour s’occuper d’enfants. C’est ainsi qu’il trouvait le terrain propice pour se livrer  à ses pulsions  irrépressibles. Déjà en 2006, 2008 et 2012, il avait été condamné pour « violence sur mineur et exercice illégal de la profession de médecin », ce qui ne l’avait pas dissuadé de continuer à sévir dans des structures en rapport avec l’enfance. Depuis leur douloureuse expérience, Enzo comme Lucas sont suivis psychologiquement. « Ils manifestent une crainte et une défiance évidentes à l’égard des adultes » a conclu le rapport psychologique. Les séquelles ont motivé la constitution de partie civile de leurs familles respectives.

« J’ai le sentiment de bien faire mon job »

Lundi, le tribunal a tenté d’appréhender la personnalité du prévenu. « Pourquoi commettez- vous ces actes  ? »  a demandé le juge. « J’aime les gens et je veux leur bien, je suis toujours prêt à les aider » a répondu le prévenu. « Mais vous savez que ce que vous faites est interdit, que c’est une violence grave faite à des enfants » ;  «  Oui je sais que c’est interdit mais je sais faire des piqûres et j’ai le sentiment d’être utile et efficace ». « Ne seriez vous pas un peu ‘collant’ avec les enfants » lui a rétorqué  le juge. « Je suis effectivement trop protecteur mais pas tactile » a souligné Pierre. « Prenez vous du plaisir à faire ces piqûres, à faire souffrir vos victimes ? » a encore interrogé le juge. Pierre a expliqué : « Je me sens fort mais je ne prends pas de plaisir, j’ai le sentiment de bien faire mon job ».

Lorsque le procureur a insisté sur « l’illégalité et la dangerosité de se présenter comme médecin ou infirmier », le prévenu n’a pas semblé perturbé. Il a reconnu qu’il ne possédait pas les diplômes requis mais qu’il avait des savoir-faire pour aider les autres. En fait il a dit, comme s’il n’avait pas  compris la gravité des choses : « Je suis éducateur de santé. »

A l’évidence, l’homme ne mesurait pas  les conséquences de ses actes. « Il n’apprécie ni la dangerosité ni le côté équivoque de son rapport aux enfants » a fait ressortir le juge. C’est pourtant de l’avis des experts en psychologie, « un homme intelligent, qui ne présente pas de  problèmes mentaux ». Il est titulaire d’un Bac, a passé un diplôme de naturopathe et s’exprime dans un langage élaboré et structuré avec une bonne maîtrise du vocabulaire médical. Il n’en est pas moins une personnalité trouble, liée à une enfance sans doute douloureuse, faite de brimades à l’école, de difficultés relationnelles, d’un mal être et d’un sentiment de persécution.

Mythomane, narcissique, complexé…

D’après les rapports médicaux, Pierre « décide de voir chez les autres ses propres sentiments, ce qui lui confère un sentiment de supériorité ». Lui-même a reconnu avoir un ego surdimensionné sur lequel il lui fallait travailler. C’est justement ce qui l’a amené à entrer dans des personnages et des rôles qui le positionnent au-dessus de sa condition. Dans sa personnalité particulièrement complexe, mythomane, narcissique et complexée à la fois, les juges ne parviennent pas à distinguer « s’il fait la différence entre le bien et le mal » tant il semble investi et certain d’être utile à la société.

« A aucun moment il n’a pensé au ressenti de ses victimes, à leur douleur physique comme morale » a noté le procureur. C’est pourquoi dans son réquisitoire il a estimé qu’il serait dangereux de le remettre en liberté, « sachant que les chances de récidive sont toujours élevées ». Il a requis 20 mois de prison avec maintien en détention.

Le prévenu a été condamné à deux ans de prison avec maintien en détention (Il a déjà fait huit mois de préventive) et à diverses peines assorties d’un suivi psy, d’une interdiction d’exercer un métier médical, de travailler à proximité d’enfants…

Maître Duchêne, avocate de la famille du jeune Enzo, a commenté : « L’important pour la partie civile était que la parole de l’enfant soit entendue et prise en compte afin qu’il puisse se reconstruire ».

En juin 2017, Pierre a été relaxé du fait de la mauvais interprétation des gestes. Le tribunal a commenté : « Le psy a déformé les propos de l’enfant ou mal interprété ceux-ci, sans doute influencé par son expérience. « 

Pierre a touché des dommages et intérêts de l’Etat pour la détention abusive.

*Les prénoms ont été changés.